J’AI ÉCRIT UN LIVRE !

Cela fait longtemps que je n’ai pas mis à jour ce blogue et la raison est que depuis un an, je travaillais à l’écriture d’un livre complet dans la continuité de ce que j’avais commencé à partager ici.

C’est avec beaucoup d’appréhension et d’excitation que je vous présente donc enfin le livre « Ma vie en van ».

Il est disponible dès aujourd’hui en version numérique et en version papier. Retrouvez toutes les informations sur mon nouveau site http://mavieenvan.com.

 

VERSION EBOOK :

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On en a parcouru du chemin, depuis mes balbutiements dans le nomadisme jusqu’à la publication de ces 260 pages. Vous qui suivez ce blogue saurez à quoi vous attendre. Mais moi-même, après ces nombreux mois d’écriture, ai réalisé que ce que j’essayais de décrire, ce que je poursuivais n’était pas uniquement la vie en van, mais en fait la vie tout entière que l’on cherche tous à se créer.

C’est donc un ouvrage mélangeant récit, essai, journal… Un document traçant un parcours qui s’étend sur des mois d’allers-retours, d’hésitations, de tristesses et de joies, de prises de consciences, de choses sérieuses et de trucs anodins…

Voici donc, passé par des centaines d’heures d’écriture, de réécriture, de relecture, de correction (j’ai également investi dans l’aide d’une réviseure-correctrice), de mise en page, de référencement, d’annotations, d’épreuves… un travail de plus d’un an. Une expérience d’auto-édition fort enrichissante et dont je parlerai plus en détail dans les semaines et mois à venir.

Alors que l’année se finit, j’ai cette impression que ma vie en van ne fait que commencer.

LE PROJET EN 4 QUESTIONS

Pourquoi ce livre ?
Certains m’ont demandé si je comptais poursuivre la narration à l’écrit de mon expérience que j’avais commencée sur mon blogue. Ayant toujours eu l’envie d’écrire et publier, proposer cet ouvrage était la suite logique de ce que j’avais commencé pour essayer de répondre à la question : « ​Pourquoi vivre dans un van ».
Ce livre est-il un manuel pratique sur comment vivre en van ?
Non. Même si je serai peut-être un jour amené à publier un ouvrage du genre, ceci n’est pas une version de Vivre sur la route pour les Nuls. Mon livre se trouve plus à mi-chemin entre essai et récit intime, mélangeant réflexions et concepts qui me tiennent à cœur de partager.
Pourquoi considérer l’auto-édition ?
Ce livre n’entre pas vraiment dans aucune case de la plupart des collections éditoriales et il est aujourd’hui plutôt difficile de se faire publier quand on n’a aucune connexion dans le milieu. Certes l’auto-édition ne permet pas l’accompagnement littéraire et l’expertise d’un éditeur, et implique pour moi beaucoup plus d’investissement en terme de finances, de temps, d’étapes fastidieuses, de choses à apprendre sur le tas, et de stress afin de fournir un travail sérieux et présentable. Mais à l’instar de ma chaîne Youtube partie littéralement de ZÉRO, l’autoédition me paraissait comme le prolongement naturel de l’aventure. De plus, l’autoédition permet d’éliminer les trop nombreux intermédiaires et rend possible un échange simple et direct entre un lecteur intéressé de s’exposer à ce qu’un auteur a à partager.
Le livre sera-t-il broche à foin* ?

[*Pour les amis européens qui ne connaîtraient pas l’expression, « broche à foin » désigne une action réalisée de façon désorganisée et improvisée.]
Non! Pour ce projet auto-édité, j’ai passé des centaines d’heures de révision et ai investi dans l’aide d’une réviseuse-correctrice pour m’assurer que ce que je propose au lecteur soit professionnel, propre et cohérent. D’ailleurs au cours des prochains mois, je reviendrai en détail sur comment publier son livre et tout le processus que j’ai suivi.

Bonne lecture !

 

Résumé:

​Je vis dans mon véhicule. Sans adresse, sans loyer, dans une maison sur roue mélangeant existence nomade et confort précaire. « Ma vie en van » partage jour après jour, auprès de dizaines de milliers d’autres voyageurs sur Youtube, un style de vie minimaliste cultivant le « roadtrip à durée indéterminée » .

À travers ce livre, je prends une approche plus profonde et intime sur ce qui nous pousse aujourd’hui à remettre en question notre existence du 21ème siècle et explore à quel point le confort pourrait bel et bien être la source du malaise de plusieurs générations.

Au-delà des apparences d’une vie de bohème soit romancée ou rejetée par nos sociétés, j’établis à l’aide de huit thèmes et d’un journal de bord comment on peut être poussé à embrasser le minimalisme et se lancer dans le nomadisme au long terme, deux idées qui prennent de plus en plus de place dans l’imaginaire de nos sociétés actuelles.

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Ça y est, je l’ai trouvé. C’est un Dodge 1997 Roadtrek de 17 pieds (5,2 m) de long. Il a cuisine, frigidaire, comptoir rétractable, salle de bain, un salon qui fait office de chambre avec lit double, table de nuit, deux placards, un garde-manger et trois tiroirs. Tout ça dans un intérieur de 2,5 mètres de longueur par 65 cm de largeur sur 1,80 mètres de hauteur.

Au Québec, on dit communément « une » van mais par souci de cohérence nous conserverons le masculin pour désigner le van, aussi appelé camper van, ou FloMobile pour les intimes. Ce van appartenait à un couple de retraités de Saint-Antoine-Sur-Richelieu qui l’utilisaient pour aller voir leur fille et petits-enfants à Fort McMurray en Alberta. Ils ont réalisé qu’ils ne s’en servaient pas assez pour le garder même si je pouvais sentir le grand amour qu’ils avaient pour ce véhicule avec lequel ils s’étaient créés tant de souvenirs.

C’est drôle, l’attachement qu’on peut développer pour un tas de tôle et de pneus. L’humain a une sorte d’incompréhensible passion pour ses machines, particulièrement ses véhicules. Surtout lorsqu’ils ont quelque chose d’unique, soit parce qu’ils vont vite, soit dans mon cas, parce que ma maison se trouve là-dedans, comme si on acquérait un certain statut, comme si sans ces engins nous ne pourrions nous définir tels que nous sommes. Je me suis longtemps demandé quelle était la raison de cette affinité particulière, et je pense avoir la réponse que je délivrerai un peu plus tard dans ce chapitre (admirez mon sens de l’intrigue).

Cela faisait depuis décembre que j’avais démissionné, incertain de mon futur professionnel, n’ayant aucune idée de mon futur relationnel, mais sûr et confiant en cette vie en van alors qu’elle n’avait même pas commencé et qu’il y avait beaucoup de paramètres inconnus que je devrais résoudre au fur et à mesure de cette aventure au long terme :

  • Où me stationner la nuit?
  • Comment survivre financièrement au coût de l’essence?
  • Comment me doucher dans ce corridor d’un mètre cube et demi où je ne peux même pas me tenir droit?
  • Et si je tombe malade?
  • Et si j’ai un accident?
  • Et si je perds mon permis?
  • Et si mon réservoir de propane fuit?
  • L’isolement que je m’impose est-il un risque de devenir trop solitaire?

Tant de questions auxquelles j’ai finalement toujours trouvé une réponse, mais qui sur le moment, alors que rien n’avait commencé, me démobilisaient. Comme si je me cherchais une raison pour ne pas embarquer dans ma propre vie.

Toutes ces peurs qui nous animent ont un point commun : elles impliquent quelque chose qu’on ne contrôle pas. Nous sommes si habitués à vouloir tout préparer afin de ne pas tomber dans l’improvisation, si habitués à pré-produire toute notre vie, si habitués à dire non, par peur de l’improvisation parce qu’on l’associe à ceux et celles qui ne savent pas organiser leur vie, ignorant toute la liberté qu’improviser apporte. Tant de petites peurs anecdotiques qu’on accumule, des centaines de question qui ont toutes rapport avec quelque chose de matériel et qui nous paralysent.

Ma mère m’a souvent répété qu’à tout problème, il y a une solution. Dit comme ça, ça peut paraître comme le plus gros des lieux communs, mais quand la situation nous concerne, c’est soudain moins évident. Une fois qu’on accepte nos problèmes et nos peurs, on se débarrasse instantanément de toute l’anxiété de ne pas les résoudre. Nina Simone dit cette phrase un jour lors d’une entrevue que je garde en moi comme un slogan : « être libre, c’est ne pas avoir peur ».

Malgré les doutes, la vie en van demeurait quand même une obsession. Jusqu’à aujourd’hui alors que j’écris ces lignes, je ne m’étais jamais demandé pourquoi. Quelle est l’origine de cette tendance à vouloir vivre dans un van? Pourquoi de plus en plus d’entre nous lorgnent ce mode de vie. D’où vient cette fascination pour la vie sur la route? Est-elle une lubie américaine? Ou y a-t-il quelque chose de rationnel derrière la volonté d’emménager dans un camion? Cette vie permettrait-elle une émancipation par le vagabondage? Ou n’est-elle qu’un simple caprice bourgeois-bohème consommateur de pétrole?

Au-delà du mythe romantique du Volkswagen Westphalia orné de fleurs (qui tombe en panne tous les soixante-dix kilomètres, oserais-je ajouter), un bon nombre de raisons expliquent pourquoi on retrouve des archétypes précis parmi les « full-timers* » (*personnes vivant dans un véhicule motorisé à temps plein).

Autrefois les full-timers étaient principalement des retraités. Mais aujourd’hui on peut voir une tranche sociodémographique émerger et représenter une bonne portion des nouveaux full-timers. En caricaturant voici leur portrait : jeune millénial entre mi-vingtaine et mi-trentaine, travaillant dans un milieu saisonnier non permanent ou sur contrats, célibataire, parfois en couple, et dont la sensibilité sociopolitique est plutôt axée sur l’autonomie ou l’expression d’un certain besoin de « sortir du moule », d’explorer une autre « alternative » à ce que le modèle traditionnel est.

Mais quel serait ce dit-modèle que presque toute une génération semble remettre en question? Une vie de bureau? Une vie de chat d’appartement? Pour beaucoup pourtant, c’est une vie de rêve, ou tout au moins une vie convenable dont on ne devrait pas se plaindre. Je l’ai vécue comme un mal nécessaire dans l’attente passive d’autre chose sans savoir quoi, mais jamais comme un rêve.

Comme si le rêve, c’était se joindre à tout prix à une vie urbaine avec un emploi à avantages sociaux et un condo de plus en plus grand dont on ne sera jamais propriétaire, une petite voiture neuve achetée sur un plan mensuel débité chaque mois avec notre abonnement Internet, une vie routinière oscillant entre heures de bureau alors qu’il fait jour dehors, et deux semaines de vacances en République Dominicaine (alors que de l’autre côté de cette île en Haïti se répand toutes les misères du monde)… En quoi cela relève-t-il du rêve? (Petit aparté: je n’ai d’ailleurs jamais compris comment, dans notre société du « Nord », pourtant si pleine d’hyper-conscience sociale, on pouvait se rendre dans le « Sud » sans se soucier du pays tant qu’il y a du soleil, comme si on s’était donné le droit d’envahir ce « Sud » chaque hiver sans comptes à rendre.)

Pour d’autres, tout cela n’est qu’un cauchemar nécessaire, pire, celui que leur entourage a conditionné et établi comme une norme de succès médiocre où il faut simplement survivre le temps de trouver ce qui nous allume.

 

Dans ma vie de bureau, je surpris plus d’une fois des conversations qui allaient ainsi :

« J’ai décidé que j’ai travaillé si fort cette semaine que je méritais [de m’acheter] un beau chandail. »

Ce chandail, bien qu’anodin, illustre à merveille le piège dans lequel le confort nous amène. Cette personne a travaillé si fort, que pour se récompenser elle allait acheter un -MATÉRIEL-. Pourquoi ne serait-elle pas satisfaite par le simple fait d’avoir travaillé si fort? Non, son travail est un fardeau mais lui permet d’acheter de quoi soulager ce même fardeau. Quelle durabilité y a-t-il dans un système qui nous fait acheter un objet sans apport créatif pour nous soulager d’une dure semaine?

J’ai souvent agi selon ce schéma, j’ai même grandi comme jeune adulte nourri par ce système de récompense, et ça n’a simplement aucun sens. Comment vivre pleinement et librement si on ne se détache pas de ce besoin de la carotte pour s’épanouir? À épouser ce système de chantage, on ne fait que retarder une perdition certaine ou un aveuglement éternel. Comme ces enfants un peu agités dont on récompense le calme par une heure de télévision supplémentaire.

 

Nous choisissons une vie de confort trop tôt et lui donnons beaucoup trop de valeur. On nous apprend à jouer la carte de la sécurité, à répliquer un modèle de vie datant d’il y a trente ans, désirant tous devenir ces classes moyennes un tantinet supérieures avec conscience sociale en option, sans voir que ce modèle de classes qui s’appliquait jusqu’à la génération précédente a aujourd’hui implosé.

C’est étrange quand on y pense. Pourquoi chercher à conserver et répliquer un modèle qui a causé et cause encore plus que jamais des sociétés malades emplies d’individus en dépression, en burnout, clairement dus à leur mode de vie; société faite de divorcés perdus, de célibataires faussement indépendants, d’enfants mal-éduqués mal-aimés délaissés, en quête éternelle d’attention parce qu’on n’avait pas le temps pour leur en donner quand ils étaient plus jeunes, à qui on veut inculquer que c’est cela le rêve et pas autre chose, espérant qu’ils copieront en un peu mieux ce que la génération d’avant a accompli.

Depuis une dizaine d’année, émerge une disparité sociodémographique grandissante qui va au-delà de ce qu’on appelait autrefois classes sociales. Certains, par pression sociale et/ou familiale souvent imposée par eux-mêmes, veulent accéder à toute vitesse à l’idéal statut de maturité avancée : la maison, la voiture, les enfants, la carte de fidélité à l’hypermarché. Une vie régie par des fins de semaines et des vacances planifiées onze mois à l’avance. D’autres vivent leur vingt-ans pendant plus de vingt ans, à être d’éternels adolescents abusant de tout sans réel sens des responsabilités, prenant leur je-m’en-foutisme de longue haleine comme une forme de liberté. Y aurait-il une place entre les deux qui pourrait servir de nouveau modèle? Car une fois que tu as ta maison, ton petit emploi avec plan d’épargne retraite… que vas-tu faire de 27 à 90 ans, qui vas-tu être dans ces trois autres vies qu’il te reste? Mais aux adulescents, on peut également demander : que souhaites-tu laisser de toi dans cette existence pour avoir l’impression de l’avoir vécue tout en ayant progressé en tant qu’individu et construit quelque chose, en ayant choisi une direction?

L’espérance de vie a probablement atteint un seuil, mais admettons que nos générations actuelles se rendent jusqu’à 80-90 ans. À moi et mes 26 ans passés, il me reste donc trois quarts de vie. J’aborde mon deuxième quart, bientôt terminerai mon troisième quarts et entamerai mon quatrième. Soudain, cette vision en quarts ne me donne plus envie de vivre tellement elle paraît courte. Tant qu’à faire en finir tout de suite.

 

Changeons alors ces trois quarts qu’il me reste en années : 75 ans. Wow. 75 ans pour continuer la poursuite de petits moments. 75 ans pour explorer toutes les possibilités. Ça éclipse tout à coup la peur de vieillir.

On a l’impression que chaque année passe plus vite, mais en fait, n’est-ce pas simplement parce que j’ai plus de choses à faire donc logiquement moins de temps à regarder passer le temps? 75 ans, c’est, laissez-moi calculer… 900 mois. 27 000 jours. Demain, 26 999 jours. Tout à coup, une autre perspective : ça ne me parait plus tant et un stress immense monte en moi à l’idée de gâcher un jour de plus à perdre mon temps avec des soucis matériels et des interactions négatives.

Bref… Cet exercice permet de réaliser que notre perspective diffère selon nos faits, alors qu’à l’échelle de l’univers, rien ne change. Nous sommes tous égaux sur le plan arithmétique. À un moment ou à un autre, il nous reste tous autant de choses à vivre, ou à ne pas vivre, tous autant de temps pour essayer. Mais au lieu de faire tout trop tôt pour réaliser à 48 ans qu’on est passé à côté de sa vie, qu’on n’a jamais possédé son existence, tenu par des milliers de paramètres matériels et émotionnels externes à notre contrôle, pourquoi ne pas prendre plus de temps à se connaître, à apprendre à ne pas blesser ni soi-même ni les autres, à devenir mature pour aborder la vie à l’âge qu’il faut?

Cette vie en van (ou #vanlife si vous voulez avoir des likes sur Internet) résulte donc du constat qu’il y a tellement à vivre, tellement à essayer, et que la vérité se trouve dans l’ailleurs : il faut voyager, se dépayser pour mieux revenir. Nous vivons à l’époque la plus facile et confortable de toute l’histoire de l’humanité, bien loin d’une vie de survivance, ne réalisant pas que cette vie confortable dont nous disposons est une goutte d’eau dans nos millénaires d’essais et d’erreurs. Ayant passé plus de temps à être des chasseurs-cueilleurs nomades que des utilisateurs de Facebook, notre cerveau et patrimoine génétique n’ont jamais été préparés à vivre cette indigente oisiveté, ce nombrilisme pernicieux ouvrant la porte à toutes les névroses. L’accès à l’intelligence du canapé et au confort dont nous disposons presque tous aujourd’hui nous a paradoxalement enlevé beaucoup de liberté. C’est cette même poursuite du confort qui nous a condamnés.

Entre le nomade du Pléistocène paléolithique supérieur et le touriste consommateur de l’Anthropocène se trouverait donc un retour vers un voyage à échelle humaine dans une tente mobile et solide perméable à beaucoup : la vie en van.

Je n’utilise le mot que maintenant mais je pense qu’il est la clé : ce qui définit tout être humain pour qui le désir de liberté est plus fort que le désir d’entrer dans un modèle est l’importance qu’il donne à son indépendance.

Mais est-on jamais indépendant? Sûrement pas. Cependant, c’est cette recherche constante d’indépendance de mouvement, de pensée, de production qui définit notre humanité. Si je devais faire une liste des dépendances de ma vie en van, je réaliserais à quel point la vie sur la route a des limites et dépend de nombreux autres paramètres :

  • Essence pour rouler
  • Eau et stations de vidanges pour vidanger
  • Passeport, visa si on veut sortir de nos pays
  • Électricité pour charger appareils électroniques
  • Mécanique du van/pannes/changements d’huile (donc garagistes)
  • Connectivité
  • Besoin d’adresse fixe pour permis et assurance
  • Nourriture
  • Canicules d’été, froids extrêmes d’hiver

Faire cette liste afin d’identifier nos dépendances et séparer le nécessaire du superflu est un exercice essentiel. Le concept d’autosuffisance est comme celui d’une vie sans argent : elle comporte tout autant de dépendances qu’un autre modèle, mais le fait d’essayer d’être plus autonome malgré un système dont le fondement-même est basé sur l’interdépendance est déjà une petite victoire.

Quelque chose dans le monde moderne actuel est en train de se passer. De la même manière que les Zheng He et Marco Polo d’antan ressentaient la présence d’un ailleurs sans le désir d’envahir comme ce fut le cas plus tard, les #vanlife addicts ressentent que c’est en pourchassant un ailleurs préhensible avec un peu moins de confort mais plus de liberté qu’ils peuvent découvrir une certaine idée de l’existence.

J’ai voyagé en avion à travers des mers, en train découpant des frontières, en autobus longeant des plaines, à vélo traversant un continent… Mis à part le vélo qui fut une expérience unique, aucun de ces moyens de transport ne m’a jamais apporté autant de paix et de réponses que la vie sur la route. Toute la fascination que nous avons pour l’automobile et l’addiction à ce mode de transport pourtant si peu durable n’a rien d’un hasard.

L’humain retrouve dans la route une sérénité qu’il n’a pas ailleurs. Comme si, avec son véhicule à lui (et sa maison dans mon cas), il pouvait régler tous ses problèmes, être maître de son destin, échapper à son ordinaire.

Chaque fois que je me trouve en plein milieu des congestions que ce soit sur l’Autoroute 20 à Montréal ou la Don Valley Parkway torontoise pare-choc contre pare-choc, je me demande ce que font tous ces gens seuls dans leurs voitures au milieu de ces autoroutes à quatre voies à l’arrêt. 60 minutes pour faire 10 kilomètres sur une voie « rapide ».

Ce qu’ils font tous, c’est essayer de s’échapper, de se créer un moment à eux. Ils se plaindront des congestions, mais n’avoueront pas cette addiction bizarre à être, comme on dit, « pogné » dans le trafic.

Que fait le représentant commercial constamment en déplacement, le camionneur, le motard, le cycliste du dimanche? Il s’échappe. Il est à la poursuite d’une liberté qui n’a plus dans sa vie quotidienne. Échapper à son hypothèque sur une maison qui lui appartiendra que dans trente ans s’il ou elle parvient à rester en contrôle d’une vie qu’il ne contrôle pas. Échapper à une relation qu’il ou elle s’est imposé à lui-même, échapper à un patron, échapper à un environnement, une situation toxique pendant un bref instant, que ce soit 20 ou 200 kilomètres. Tout simplement parce que nous sommes des nomades. Nous avons besoin du mouvement.

La vie en van est à mes yeux la matérialisation aboutie de ce désir d’échapper à ce qui nous tient, tout en ayant le luxe de ne pas avoir à revenir le soir. Et le risque dans cette vie est de développer une addiction. Une addiction à ne pas avoir de loyer. Une addiction à pouvoir dire fuck off à tout quand ça vous chante. Car il y a tellement plus de monde à voir et de gens bons à rencontrer par hasard loin de chez soi, tellement plus à apprendre de l’inconnu que de la routine dangereuse. On a rarement cette liberté dans nos vies sédentaires.

Pendant une ancienne relation, la personne avec qui j’étais m’a plus d’une fois détesté (avec raison?) lorsque je la menaçais de partir dès que nous nous chicanions alors qu’elle me reprochait de vouloir trop aller en profondeur pour résoudre nos conflits (à lire ces interminables lignes, on pourrait la comprendre…). Mais ce qu’elle ne comprenait pas était que mon van s’avérait être la seule réponse dont je disposais pour résoudre des conflits sans raison autre qu’un simple échec amoureux. Et ma partenaire ne disposant pas de ce moyen d’échapper m’en voulait de jouir de ce privilège de pouvoir juste dire adieu à ce qui m’est néfaste et bonjour à ce qui m’attend. C’est une envie que je vois souvent sous-jacente aux critiques que je reçois d’ailleurs. Ne pas s’alourdir d’attaches matérielles à entretenir et de relations qui vous mènent vers le bas est aujourd’hui un luxe. Choisir ce qui est bon pour soi et se détacher de ce qui nous aliène est aujourd’hui une science.

À tout moment, on se doit de confronter ce que l’on « veut ». La vie qu’on croit idéale parce qu’on nous l’a survendue? Ou cet inconnu qui permet de se découvrir chaque jour sous un nouvel angle mais qui n’est pas aussi facile à adopter parce qu’il n’y a pas de modèle prédéfini.

Ma vie mobile présente de nombreuses limites, mais jamais je n’aurais imaginé que ces limites puissent devenir une source d’émancipation aussi puissante, permettant de découvrir ce qui est important pour soi, ne donnant pas le choix de faire face à des problèmes et de les résoudre, apprenant à lire ses instincts, forgeant un chemin et des valeurs toujours ouvertes à d’autres valeurs, faisant poursuivre une idée quelle qu’elle soit, exposant à la complexité de vérités variables, montrant que beaucoup est possible, qu’à peu près tout est faisable si on en a seulement la volonté, et que le simple fait de se poser la question est parfois la seule réponse dont nous avons besoin pour avancer.

 

 

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Nous sommes le 7 juin 2012. J’ai presque 22 ans. 22 ans et finalement armé d’un diplôme d’études supérieures. C’est la cérémonie aujourd’hui, mais ma copine de l’époque trouve ça ringard d’aller se trimballer en toge avec un sourire idiot pour célébrer notre entrée dans le monde adulte des sur-éduqués. Peut-être qu’elle a raison. Pour l’impressionner, je lui dis que je pense pareil même si j’ai l’impression de manquer l’événement unique et solennel pour lequel on a fait semblant d’être occupé à étudier pendant quatre ans. Ce cliché américain des chapeaux lancés dans l’air, comme si on se débarrassait de quelque chose qui allait nous retomber dessus au moment même où l’on sortira des portes du campus.

Nous sommes le 7 juin d’une année 2012 marquée au Québec par des bouleversements sociaux qui ont fini par être récupérés par une élection. Nous ne nous souvenons même plus de ce Printemps érable, ni de ses leaders qui ont tous succombés à l’appel de positions confortables au gouvernement et se sont joints à des convictions auxquelles ils juraient ne jamais adhérer. La révolution à moitié est-elle pire que celle du silence?

Je me suis donc privé de la consécration ultime de lancer mon chapeau avec mes camarades d’études, privé ma famille d’une belle photo encadrée de ma face avec un sourire niais enveloppé d’une toge noire tenant un bout de parchemin où des mots en latin moderne se suivent.

J’ai 22 ans et maintenant il faut trouver un travail et vite. Un job, un emploi, un taff, une position, un gagne-pain, une situation. N’importe quoi mais vite. Pourquoi? Je ne sais pas. Pour faire comme tout le monde. Pour pouvoir répondre à la question « tu fais quoi dans la vie? » Pour prouver qu’on peut être diplômé et pas sans emploi. C’est soit ça, soit on s’impose au moins deux autres années de maîtrise puis quatre de doctorat à parler de choses auxquelles on croira de moins en moins, et passer toujours plus de temps dans des salles de cours pour écouter des gens parler d’un monde réel dont ils sont déconnectés depuis le confortable siège d’une bibliothèque réservée à ceux qui payent leurs frais de scolarité.

Donc non. Pas ça. Postuler. Farcir son CV de mots et termes que personne ne comprend mais qu’on utilise quand même. Pour faire comme tout le monde. Écrire des lettres de motivation démotivantes qui seront lues en diagonale. « Je souhaiterais vous présenter ma candidature », « je suis extrêmement motivé à l’idée de me joindre à votre compagnie », « mon expérience dans le domaine du … s’est démontrée par… ». J’ai toujours eu le fantasme d’écrire une lettre de motivation qui exprimait ce que je pensais franchement de la situation.

 

Cher responsables des ressources humains qui n’a aucune idée en quoi consiste le poste pour lequel tu choisis tes candidats,

Je t’écris car apparemment il faut faire cela, même si ça n’a pas trop de sens d’écrire des paragraphes pour un travail dans lequel je n’écrirai pas le moins du monde si ce n’est des courriers électroniques préformatés sans sens et faisant semblant d’être aimable dans l’agressivité passive la plus complète.

J’espère quand même que tu tomberas par hasard sur ces mots essayant de te faire croire que je suis exactement ce qu’il te faut même si je ne le crois pas moi-même. Malheureusement je ne connais personne que tu connais, donc je n’ai pas mis toutes les chances de mon côté, mais j’ose espérer que ce fameux « réseau », ces fameux « contacts » ne comptent pas. Quelle naïveté, je sais! Enfin bon, voilà, j’ai copié-collé les points de ta liste qui se trouvaient dans l’offre d’emploi et arrangé des phrases autour. Pour ça, l’école m’a bien formé.

Toutes mes sincères salutations les plus distinguées, même si je ne comprends pas pourquoi il faut écrire cela et faire semblant de respecter quelqu’un que je critiquerai avec mes autres collègues deux mois après avoir été engagé, et que je serai rendu au même point, c’est à dire réécrire une lettre similaire en personnalisant juste le nom de l’entreprise et la date, pour essayer de faire croire à une autre personne comme toi que je serais un candidat de choix pour le futur de sa compagnie qui n’a en aucun cas mon bien-être et mon enrichissement personnel comme priorités, mais pour laquelle je donnerai tout.

 

Donc un emploi. Il faut un emploi. Il faut. Je dois. Je ne me suis pas posé la question pourquoi. L’université ne m’a pas appris ça. Mais il me fallait un travail. À temps plein de préférence. Et à peu près un an après avoir reçu mon diplôme et une quarantaine de lettres de motivation plus tard : une entrevue.

L’entrevue. Encore un autre exercice où il faut essayer d’être le moins soi-même. Pire qu’une date avec quelqu’un rencontré sur un site de rencontres rapide où il faut adopter plusieurs personnalités comme des millions d’autres schizophrènes en mal d’attention. Je ne me pose toujours pas la question si tout cela a un sens. Plus rien n’a vraiment de sens à ce point. Je ne suis plus avec ma copine et, comme si la pression d’avoir un job pendant qu’on était ensemble n’était pas assez, maintenant c’est comme pour prouver quelque chose à … je ne sais qui… que je veux ce poste. En fait c’est même une affaire de vie ou de mort que j’aie ce poste. Pourquoi au juste? Pour payer mon loyer? Pour payer mes pizzas surgelées? Mes week-ends au chalet avec des amis qui ne me demandent jamais comment je vais et qui m’oublieront la minute où je n’entretiendrai pas le contact?

Et puis ça y est. Consécration. Job en poche. Au-dessus, c’est le soleil. Quel bonheur! On parle en très haut lieu de mon potentiel. Dans la compagnie, dans ma famille, parmi mes amis. On s’enorgueillit de mon orgueil même si tout ce potentiel, on ne me dit pas comment on va l’exploiter. Ça ne m’empêche pas de faire tout péter. Péter le nouvel appart. Péter ma première voiture. Péter ma première télé ultra-plate ultra-HD. Péter ma première Playstation. Péter le Ikea en bois pas de Suède, et tout le tralala. Nouveau matelas King acheté 900 dollars au lieu de 1300, quelle affaire! Qu’est-ce qu’on est bien chez soi. Pas loin, j’ai plein de commerces de choses et d’affaires pour toutes les activités. De quoi pourrais-je avoir bien besoin ce week-end? Attends, je finis ma partie de GTA V. Mince il est 22 heures, pas vu le temps passer. Mettre la Playstation sur pause. Mettre la pizza dans le four. Demain lundi déjà. Peut-être que ma boss va m’annoncer que j’ai ma promotion. Ça fait huit mois qu’elle me le promet quand même. Rien ne va assez vite. Particulièrement huit mois à avoir fini ses tâches quotidiennes à 10h30 et faire semblant de travailler le reste de la journée.

Aujourd’hui je comprends pourquoi cette promotion que j’attendais impatiemment a mis tant de temps à s’ouvrir. Parce que ce n’était simplement pas pour moi. Souvent, quand une chose prend trop longtemps ou qu’il faut la forcer, il faut savoir écouter son instinct : cette chose n’a pas lieu d’être. Mais j’attendais ce poste comme l’ultime graal et je l’ai eu. Après ça, je n’avais plus qu’à me marier, divorcer, puis mourir, vu que j’ai passé toute mon enfance à être communié parmi des écoles ultrareligieuse où on m’a toujours reproché ma couleur de peau un peu plus tannée que les autres; enfin, ça c’est une autre histoire.

On est en octobre 2014. Le poste permanent est dans une ville encore plus consumériste que celle où je vis actuellement. J’y pense, j’hésite. Et je dis oui. Car, à ce qu’il parait, il ne faut jamais dire non à l’emploi à temps plein.

Mars 2015. Après trois mois d’hibernation à essayer de trouver ma place dans ce nouveau bureau, j’ai un nouveau boss, inférieur à ma boss d’avant, donc je savoure cette fausse promotion. Il va falloir faire encore plus semblant de paraître occupé aux tâches pour lesquelles je n’ai pas été engagé. Ouvrir Excel pour feindre la productivité. Murmurer des « mmmmh » pour avoir l’air concentré.

 

Depuis mon déménagement de janvier, mes journées se suivent et se ressemblent.

Réveil à 7 heures.

Arrivée au travail à 8 heures. Tout le monde ici entre à 8h30-9h ici, histoire de mieux vous juger lorsque vous partirez avant eux. La dictature du cubicule.

À 10h30, réunion quotidienne. Faire semblant qu’on travaille et qu’on est occupé. Tout le monde a l’air de bien savoir faire ça. Moi, je ne sais pas bien mentir donc un doute plane sur mes occupations.

11h45, le lunch est dans la cuisine. Malgré ma fausse promotion, dans la compagnie où je travaille, la bouffe est gratuite. On arrive quand même à s’en plaindre. As-tu aimé le poulet au beurre de lundi? J’ai préféré la journée burger de vendredi.

13h, j’essaye de trouver des raisons de rester dans la cuisine où certains prennent une pause à midi alors que les plus frustrés mangent à leur bureau, comme s’ils voulaient prouver qu’ils sont tellement occupés qu’ils mangent en tapant sur leur clavier. Vraiment multitâches ces parfaits employés. Beaucoup de potentiel.

14h30, réunion en ligne sur les nouveaux objectifs de la compagnie (objectifs en permanence contradictoires et se renouvelant chaque mois). Il faut faire plus de vues de nos articles et reportages avec moins de moyens. Bref, montrer subtilement des fesses, des poitrines et des chats de façon professionnelle. Alterner ça avec des requins. Et puis, espérons un petit attentat, ça booste toujours un peu les statistiques trimestrielles. Le journalisme a toujours eu de belles valeurs.

16h, je vais attendre 30 minutes pour partir. Sinon on va me juger et dire que je ne fais rien de ma journée.

17h, j’enfile mes pantalons en coton ouaté. J’allume la télé et ouvre Netflix. Je regarde une série que j’ai déjà regardée parce qu’il y avait tellement de choix que j’ai choisi le confort de ce que je connaissais déjà.

19h, je fais à manger. Des légumes du marché bobo trop cher si j’en ai, sinon pizza surgelée « artisanale » quand même, faut pas déconner.

19h30, j’allume la Playstation 3 où j’ai commencé une nouvelle saison « Carrière de manager » dans NHL 14. Mon joueur-alter-ego en est dans sa troisième saison avec 80 buts au compteur déjà. Du grand potentiel lui aussi.

23h, je me rends dans mon lit pour y tourner et fais défiler mon cellulaire jusqu’à ce que mes yeux s’éteignent.

 

Entre toutes ces heures, je ne me souviens même plus de ce que je faisais, à quoi je pensais. Je regardais juste un écran comme les soixantes autres personnes autour de moi. Nous étions tous devant un écran à manipuler un clavier, tapant fort pour faire croire qu’on travaille fort. Je crois de plus en plus à cette théorie selon laquelle les écrans d’ordinateurs dans les cubicules sont tous figés, et que lorsqu’on rejoint une compagnie, on nous fait boire un sérum (le café filtre dégueulasse de la machine peut-être?) qui nous rend si hébétés qu’on croit travailler sur des choses différentes alors qu’à l’instar de singes surdiplômés, on ne fait qu’agiter nos doigts sur un bloc de plastique tout en fixant profondément un rectangle de lumière bleue, persuadés de notre utilité, croyant qu’on mérite notre salaire.

Finalement, la partie de cette routine qui m’a gardé en vie durant ces trois années fut mon trajet à vélo été comme hiver pour me rendre au bureau. L’once d’aventure et de risque me maintenait l’esprit et le corps. Réparer des pneus crevés, avoir ses doigts plein de cambouis après une chaîne qui a déraillé, démonter pour ensuite tout remonter… Travailler avec ses mains, seul vrai travail qui compte.

Après toutes ces années, je ne me souviens que de la forme fantomatique de mes journées, des frustrations créatives et émotionnelles, du harcèlement et de l’ignorance pugnace de certains de mes collègues et managers. De ce sentiment d’inutilité totale, de voir la vie passer sans savoir quoi faire, avec comme seule porte de sortie, la possibilité d’un autre job similaire. On fait table rase, et on remet les mêmes ustensiles mal lavés.

 

Il faut du temps avant de prendre une décision sur un coup de tête. Il faut du temps de réflexion avant de faire ce que votre cerveau ne peut pas comprendre. Nous sommes novembre 2015. Mon manager, tel un sosie contrefait de Voldemort dans Harry Potter 13, continue de prendre les pleins pouvoirs et de tenir le double discours typique des managers en entreprise. Lécher le cul de ses chefs et menacer ses sous-fifres. Instaurer un climat de terreur et de favoritisme car ce serait trop risqué que tout le monde s’épanouisse dans son cubicule. Ce serait aller contre le système… Étant donné que je cherche à me faire mettre à la porte, je ne sais pas ce qui m’empêche de lui cracher à la face ou de lui donner des coups d’épaule quand on se croise et ne se dit même pas bonjour dans les couloirs (certaines cultures d’entreprise ont la fâcheuse tendance d’avoir oublié -par souci de purisme?- les principes basiques d’éducation et de vie sociale comme dire bonjour).

Au final, l’amour en entreprise dure vraiment trois ans.

Premiers six mois, on est excité comme pas possible car on a enfin eu le poste. Les possibilités sont infinies, on va tant apporter à la boîte! On va tout donner! Et on va pouvoir profiter de tout cet argent mal-négocié dans ses 8 jours de vacances (à moins que vous vous trouviez dans un centre urbain où les loyers prennent la moitié de votre salaire comme c’était mon cas à Toronto).

Deuxième partie de l’année, on note les attitudes de ses collègues. Pas les bonnes. Celles qui irritent. Lui qui respire trop bruyamment. Elle qui met sa crème de main qui pue. Lui qui raconte toujours la même anecdote trois fois par jour mais à des personnes différentes, et vous passez toujours à côté quand il la raconte. Ces deux collègues qui sont inséparables et s’ostracisent des autres. Elle qui fait la diva et se sent trop importante même si elle a le même poste que tout le monde. Lui qui conte en détails combien de kilomètres il a fait la semaine dernière en vue du prochain Marathon de pétaouchnok. Elle qui parle toujours de son ancien travail et comment il était si parfait, celle-ci qui détaille les maladies de ses enfants. Individuellement, toutes ces personnes ne sont pas si pires, mais c’est l’accumulation de ce bruit de médiocrité qui peut très vite vous ensevelir.

Deuxième année, c’est l’acceptation. On se résigne, parce qu’on ne veut pas perdre ce fantastique confort d’avoir cette paye chaque deux semaines. Être payé pour s’assoir à un bureau. Être payé pour juste endurer des collègues agaçants. Après tout, ils sont juste humains ces collègues. On a voulu les changer pendant un temps et leur faire comprendre que leurs caractères étaient irritants, mais très vite on se demande quel caractère ils trouvent irritant chez nous. Quel con de cubicule on est. Le trop bruyant? Le trop prétentieux? Le trop pas à sa place?

Troisième année, c’est la productivité qui baisse drastiquement comme si inconsciemment on attendait d’être mis à la porte. Travail minimum. On fonce pour faire les tâches quotidiennes pour en avoir fini à 11 heures. Ensuite de 11h30 à 13h30, c’est midi. 13h30 à 14h30 sieste dans la pièce où personne ne vous trouvera. Vous sortez le téléphone à l’oreille feintant une longue conversation. Vous envisagez commencer la cigarette juste pour avoir une excuse de sortir prendre l’air. Entre 15h à 16h, c’est recherche d’emploi et envoi de CVs comme un aveugle jouerait au golf dans la nuit avant d’enfin quitter cette bande de cons(ommateurs) qui s’ignorent.

Et c’est à ce moment-là que l’humain dans cette situation a devant lui deux chemins.

Le premier est celui de la victimisation par acceptation. Parce qu’après tout, ce chèque chaque mois vaut bien la peine d’être entouré de gens que vous ne supportez pas et qui font semblant de vous supporter. Pire, si vous avez une hypothèque, un mariage, des enfants, un conjoint, un divorce, des vacances prévues que vous avez payé avec votre carte de crédit, ou simplement un grand « sens des responsabilités »… Mais combien de temps tiendrez-vous?

L’autre option est le rejet. Tout à coup vous réalisez qu’il y a peut-être une autre vie quelque part. Vous vous demandez qui a décidé qu’il fallait vivre assis à un bureau et endurer une aliénation volontaire alors que vous pourriez travailler moins, vivre plus pour vous et pour les autres.

La plupart des gens diront que la deuxième option est un risque, un signe de bizarrerie, vous fait sortir du moule. Pourtant, il y a énormément plus de risque dans la recherche d’un confort de raison. Il y a énormément plus de risque dans la recherche d’un travail permanent qui ne vous ressemble pas, mais qui ressemble au travail de millions d’autres. Avez-vous déjà essayé d’expliquer votre travail à vos grands-parents s’ils sont encore de ce monde? Avouez qu’ils n’y comprendraient rien. On met ça sur le fait de leur âge, mais à y repenser, peut-être c’est notre travail qui n’a pas de sens.

Donc c’est novembre et c’est décidé. Tout ce poids, ce job, ces choses que je possède que je dois entretenir grâce à ce même job, ce cercle qui me maintient dans une vie de confort inconfortable comme une intraveineuse presque vide vous maintient dans le coma… Demain, plus de ce job où je fais semblant de travailler pour faire plaisir à je ne sais qui. Plus besoin de faire semblant de travailler pour conserver un emploi qui n’est pas pour moi. Demain plus de job. Demain plus d’adresse. Demain, plus rien de ces choses qui peuplent les armoires et les garde robes.

Je dis « demain », mais il serait faux de penser qu’un coup de tête arrive en un claquement de doigt. Tout comme vous avez préparé cette vie de confort cubiculaire pendant tant d’années, il faut presque tout autant de temps pour en préparer la sortie et savoir ce que l’on veut vraiment. Parfois le piège est d’être dans un état de limbes et de se faire rattraper par l’appel infernal du confort. C’est pour ça qu’il faut bien préparer sa sortie du confort. Pour ne pas y replonger sans s’en rendre compte.

Quitter mon emploi m’a pris presque autant de temps qu’en trouver un.

Mais si on m’avait dit à ma sortie de l’école que je trouverais ma place et vivrais des moments heureux en habitant dans un van. Que je vagabonderais entre le fleuve St-Laurent et la Côte Pacifique, de Toronto à l’Atlantique à travers des neiges et des amitiés d’un jour, en possédant moins de cent choses, en vivant les canicules d’Août et les nuits glacées du printemps boréal, des Prairies albertaines aux Grands Lacs ontariens… Si on m’avait dit que ma vie serait une remise en question de toutes mes valeurs, de tout mon avenir, de qu’est-ce que ça veut dire, « choisir » sa vie. En fait personne n’aurait pu me le dire. Personne ne peut dire ce qui nous rend heureux, car la vie ce n’est pas être heureux. La vie n’est qu’une succession d’essais et d’erreurs; notre tâche est d’apprendre à équilibrer les vagues de hauts et de bas qui nous hantent, et c’est par soi-même qu’on peut choisir son avenir, c’est par soi-même qu’on devient soi-même, et non en répliquant une vie qui n’est pas à nous.